Travail expérimental en petits groupes

De façon à avancer personnellement dans ce travail d’improvisation et à continuer à en approfondir les différents plans (qu’est-ce que la musique intrinsèquement ? comment puis-je développer ma façon d’être la plus présente possible ? comment puis-je mieux saisir ce qui m’habite et le mettre en musique ? comment vais-je me servir de ce qui est proposé musicalement par ceux qui jouent avec moi ? quel rôle vais-je prendre ? comment suis-je la plus juste – dans tous les sens du terme – par rapport à moi et par rapport au groupe ? comment suis-je touchée quand j’écoute une improvisation ? qu’est-ce que j’attends d’une improvisation ? comment puis-je travailler avec d’autres sur ce mode de l’improvisation ? ……) je travaille dans différents groupes qui se sont constitués au fil du temps dans un désir d’expérimentation sur le sujet. Certains groupes sont assez anciens (nettement plus de dix ans !!) d’autres fonctionnent depuis 2 ou 3 ans, un autre vient de se créer !! Le rythme de travail est soit mensuel soit bimensuel, dans la mesure de nos possibilités qui sont bien sûr quelque peu variables.

Il est amusant de voir que dans chaque groupe se crée une direction et une coloration particulière. Aucun groupe ne ressemble à un autre.

Nous travaillons toujours aussi avec une bonne partie du temps de la séance consacrée aux retours sur ce qui vient de se passer. Il ne s’agit pas de critiquer, bien sûr (cela n’aurait pas de sens alors que le travail consiste à tenter d’être dans l’expression de ce qui est le plus authentique en nous) mais de faire part de son ressenti ou des questions que soulèvent en nous un travail particulier.

Ainsi, dans un trio (un violoncelle, 2 voix- 2 femmes, un homme) nous avons longuement travaillé à partir des constituants de la musique : par exemple, les intervalles nous ont longuement occupés : en partant d’une seconde, d’une tierce, d’une quarte…etc. qui est jouée en continu pour accompagner notre solo, que ressentons nous chacun dans notre improvisation? Avons-nous tous été poussés vers telle ou telle envie ou besoin ce qui tendrait à faire penser qu’ils seraient caractéristiques de cet intervalle ? Ou bien, des impros, solo toujours, en se mettant très en lien avec les différentes parties du corps : que devient mon improvisation si je me relie à mes pieds, mon sternum, mes pommettes …. ? Ou, à plusieurs, essayer de trouver le plus de solutions possibles pour le rôle de l’accompagnant…

Dans un deuxième trio, (un violoncelle 2 voix- 2 hommes, une femme) nous sommes plus tournés vers une recherche qui est proche du développement personnel : nous essayons de comprendre ce qui nous a traversé pendant les impros : Ce qui nous émeut, nous fragilise, nous fait peur nous étonne dans les réactions émotionnelles et au travers des ressentis qui subviennent au cours de la musique que nous créons ainsi seul ou à plusieurs, avec la voix ou avec le violoncelle. Nous cherchons la plus grande authenticité possible, la plus grande intériorité possible. A nouveau nos consignes peuvent être extrêmement variées : que se passe-t-il avec le regard ? Comment interprétons-nous l’expression du visage de l’autre ? Pouvons-nous interpréter le geste de l’autre ? Les mots de l’autre ? Quelle place peut prendre le violoncelle dans tout cela sachant qu’il est très puissant –même s’il ne joue pas fort- (du coup : quelle position, en tant que violoncelliste puis-je prendre pour ne pas happer tout l’espace et la laisser aux chanteurs leurs places ?)

  1. Enregistrement de travail. Impro libre et sans consigne. Laurent : voix. Jean Lucien : voix. Emmanuelle : Cello et voix. 2:48

Avertissements par rapport au matériel vidéo et audio

Ces enregistrements, reflets, sans aucune exception, de créations spontanées et éphémères qui ont eu lieu pendant la dernière soirée de différents stages de ces dernières années, correspondent à des improvisations « libres » et ne sont donc pas des morceaux reposant sur un système de grilles ou de consignes posées à l’avance entre les protagonistes. Ce ne sont bien évidemment pas des « produits finis » mais seulement des témoignages de ce qui peut surgir de ces moments de partage. Nous ne savons pas, au moment où nous commencerons à jouer, ce qui va être produit et où vont nous conduire nos premières notes. Nous ne savons d’ailleurs pas quelles vont être ces premières notes…Rien n’a été décidé à l’avance. Nous allons nous centrer, écouter et dérouler notre fil en nous appuyant les uns sur les autres pour créer une œuvre éphémère, certes, mais (et ceci est notre but) sensée.
Etant donné cette (énorme !!) difficulté, chaque prestation contient un certain nombre d’imperfections, inhérentes au danger de ce travail « sans filet » et qui correspondent à des temps de recherche, « d’erreurs » de compréhension de l’autre etc.
D’autre part cette musique, crée dans l’instant, perd une partie de son sens dans les enregistrements : le lien avec le public ne se ressent évidemment pas, or, il est capital dans ce genre de pratique : le public est partie prenante, beaucoup plus actif que dans un concert normal, et ceux qui sont sur la scène en profitent et sont aidé par cette attention particulière.
Enfin, ces enregistrements témoignent de QUELQUES façons de jouer parmi tant d’autres : chaque musicien apporte sa propre couleur musicale et le résultat des échanges est bien sûr toujours différent.

Dans un troisième trio , (2 violoncelles une voix- 2 hommes, une femme) l’instrument étant ici dominant, nous cherchons beaucoup comment faire pour ne pas rentrer dans un système d’automatisme instrumentale ou de peur de l’inconnu (il est toujours difficile d’aller au bout de ce qui est amorcé quand on a eu un parcours « classique »  qui pose si bien les frontières du « autorisé » comme du «  inacceptable »…) Petit à petit, nous constatons que pour échapper à cela, il nous faut prendre plus de temps, ralentir notre jeu, attendre que la note suivante nous apparaisse comme évidente, indispensable… C’est incroyable de constater combien cette façon de faire nous mobilise autrement et nous permet de mieux comprendre qu’une note en appelle un autre et que celle-ci arrivera à son heure : cela donne une confiance très grande en l’avenir quel qu’il soit (l’avenir de l’improvisation que l’on est en train de faire ou bien l’avenir de la Vie qui fonctionne exactement de la même façon : si on est là où on est ce sans se fuir, il se passera toujours quelque chose et si on a pris le temps d’écouter et de tenter de comprendre, la suite a toute les chances d’être sensée …). Nous essayons également de rendre notre écoute intérieure toujours plus pertinente.

Dans un autre groupe de 6 personnes ( 5 femmes, un homme- je suis la seule musicienne), nous avons une formule de travail encore différente : chacun va avoir un temps de travail personnel devant les autres d’une dizaine de minutes pendant lequel il travaillera à partir de là où il est à ce moment-là en restant le plus centré possible autour du fil de son sujet. Cela peut se traduire par du son, des gestes, du mouvement, des mots en langage imaginaire ou en français (très difficile en français de rester véridique et dans son intériorité…) il faut bien sûr rester relié au corps, à ce que nous dit notre corps… Le deuxième temps de ce travail consiste à dire, si on en a envie, ce qui s’est passé en nous pendant ce moment, aussi bien du côté de celui qui était en impro que du côté des témoins. Il ne s’agit bien sûr pas de critiquer ou de donner notre opinion sur ce qui s’est passé mais plutôt d’échanger sur nos ressentis respectifs. Ce travail est très riche et nous offre la possibilité de mieux comprendre quel est notre parcours personnel. En effet au cours des séances (mensuelles) on voit une évolution nette de chacun vers plus d’ouverture, de liberté, de densité et ce, même si le sujet abordé était différent de la fois précédente.

Quel que soit le groupe nous prenons toujours le temps de nous « échauffer » individuellement un moment avant de commencer le travail de groupe. Chacun fait donc ce dont il ressent le besoin. Cela peut aller de l’étirement du corps au sol ou dans l’espace, au travail d’échauffement de la voix, à la plongée dans notre espace intérieur à la recherche du contact avec ce qui nous anime ou nous alourdit au moment présent… jusqu’au silence plus méditatif. En tout cas, ce moment va nous permettre de retrouver une qualité de présence qui va aider le travail qui va suivre et le fait de le pratiquer ensemble nous aide, nous le constatons, à être plus centrés en nous-mêmes.

Je dois dire que sans ces différents temps de rencontres, j’aurais l’impression d’être mutilée d’une partie importante de l’intérêt que je peux trouver non seulement à la musique mais également à la Vie en elle-même. Toutes ces expériences sont tellement porteuses de sens qu’elles m’enrichissent et m’aident à considérer l’existence avec plus de confiance et plus d’enthousiasme.