Tout notre travail d’instrumentiste à cordes est basé sur la rectification. Notre plus grande habileté sera de faire cette rectification le plus vite possible pour qu’elle soit inaudible. Mais, elle existe :
La justesse de chacune de nos notes passe par là pour que la hauteur soit exactement et à chaque instant celle qui convient en fonction de la succession des notes, aussi bien verticalement qu’horizontalement. Autrement dit, sur notre instrument non tempéré, comme nous le savons, la justesse dépend du contexte et n’est donc pas toujours la même… Nous ne pouvons pas toujours être d’accord avec la conception immobile de la justesse que nous propose l’accordeur!
De même, pour la qualité du son, notre oreille nous indique comment rééquilibrer le poids à chaque centimètre de la baguette pour que le son corresponde à notre intention. Le dosage du poids, de la vitesse et de la place de l’archet entre touche et chevalet sera également toujours remis en question à chaque seconde selon la corde sur laquelle on joue, la position dans laquelle on est, que ce soit dans le but d’avoir un son égal ou dans celui d’avoir une nuance cohérente.
Bref, nous sommes en permanence sur un fil instable et nous devons créer de la continuité malgré tout.
Il peut être très inconfortable de sentir qu’à chaque instant, nous ne faisons plus ce qu’il faudrait faire !!! Le son que nous venons de produire sur la corde de Do en première position devient très inaudible en 6e position sur celle de La si nous ne changeons pas la plupart des paramètres de la gestion de notre archet ! Ce Mi qui allait si bien avec ce La s’avère faux avec un Sol !!! Ce Fa# parfait dans ce mouvement Majeur à la ligne 3, 5e mesure, devient très douteux dans sa partie mineure en haut de la 2e page, si je ne le transforme pas…
C’est notre quotidien : nous savons que tout est à remettre en cause en permanence. Nous n’avons aucun moment de tranquillité… Je ne sais pas comment nous supportons cela mais c’est aussi pour cela qu’un instrument à corde est aussi passionnant. Nous surfons sur la vague avec le désir d’un équilibre toujours remis en cause. Pas de repos ! Jamais !
Le problème de l’erreur n’est pas très loin de ce premier sujet, surtout si nous n’avons pas encore beaucoup d’années de travail derrière nous. En cas d’erreur, notre premier réflexe nous poussera souvent à paniquer et à nous figer au lieu de nous couler dans la fluidité qui permettra de comprendre tranquillement (et donc rapidement!) ce qu’il faut faire pour revenir sur le droit chemin sans abîmer un trop grand nombre de notes.
Il me semble utile de réserver des temps privilégiés à ce travail en lien avec l’erreur de façon à ce que notre cerveau puisse comprendre et s’habituer au processus de rectification et, ainsi, ne pas créer inutilement du stress et du désordre. Une partition que nous ne possédons pas encore assez bien nous confronte à une pléthore de problématiques que nous ne pourrons surmonter que progressivement. Si nous voulons vraiment travailler la possibilité d’être détendu malgré les inévitables erreurs, il vaut certainement mieux le faire sur une partition simple que nous maîtrisons bien. Nous pourrons ainsi discerner avec plus de pertinence comment penser et comment agir. Dans un premier temps, en cas d’erreur, on s’arrêtera de façon à faire le point : c’était trop aigu, la place d’archet n’était pas bonne, ce n’est pas le bon doigt, la bonne position, le bon rythme …. ou un quelconque autre problème. Et l’on recommencera le passage après avoir explicité ce que nous devions faire. Puis progressivement, ayant appris à rester calme malgré la faute, on pourra agir sans s’arrêter, en étant capable de rectifier le tir avec la note suivante. L’erreur ne sera plus qu’une erreur au lieu d’être un cataclysme…