Intéressons-nous plus en détail à l’ensemble du bras droit :
Je veux faire un petit détaché legato rapide…. Que font mes doigts ? Que fait mon poignet ? Que font mes autres articulations ? Nous pouvons évoquer la question de la « tenségrité », cette notion employée surtout en architecture pour étudier le jeu des forces, les tensions et les compressions qui doivent s’équilibrer dans une structure pour que l’ensemble fonctionne.
Le but pour moi, pour réussir ce détaché, est que la corde puisse rentrer et rester en vibration malgré le mouvement tirer-pousser qui la gêne. Je dois donc créer à nouveau des résistances avec mon bras pour qu’elle puisse réagir et qu’à chaque mouvement d’archet l’émission soit précise (un petit « k » à chaque tourne d’archet, sans que j’aie besoin de rajouter un mouvement pour autant).
Si je suis trop souple, je n’aurai aucun résultat concluant. Ma corde ne pourra pas faire entendre les harmoniques graves , mon son va siffler et sera mal défini.
Pourtant, parce que nous voyons des instrumentistes avoir un certain nombre de mouvements de doigts et de main, nous avons tendance à voir la souplesse comme le saint Graal. Cette notion de souplesse est omniprésente dans notre travail, à juste titre, mais, ne serions-nous pas souvent en train de confondre « souplesse » et « mollesse » ?
A l’opposé, si je suis trop tendue, le résultat ne sera pas plus satisfaisant.
Je ne dois jamais perdre de vue que la corde est en tension (tension différente selon que je sois près ou loin du chevalet) et je dois donc adapter celle de l’archet, via mon bras droit (le bras allant de l’omoplate jusqu’aux bouts des doigts), pour que l’équilibre de l’ensemble fonctionne. Si ma corde est une résistance, je dois lui opposer de la résistance.
Où se situent les articulations qui doivent garder de la souplesse et où se situent celles qui doivent être en résistance ?
Mes doigts et la voûte de ma main, nous l’avons vu, n’ont aucun intérêt à être trop souples sous peine de n’avoir aucune action efficace dans le contact avec l’archet puis la corde. Ils transmettent le poids qui vient du bras et doivent résister pour que celui-ci ne soit pas perdu.
Mon poignet, de la même façon, n’a pas à faire de grands gestes ni dans l’horizontale, ni dans la verticale, sous peine de provoquer dans l’archet des mouvements beaucoup trop aléatoires et de se transformer en absorbeur de poids alors qu’il doit lui aussi être en capacité de le laisser passer. Il est plutôt dans l’idée de résister, juste ce qu’il faut, pour rester dans sa forme.
Si je fais un petit détaché, mon coude, et donc l’ensemble de mon bras, dans son déplacement horizontal, ne sera que juste un peu sollicité (quelques centimètres, pas plus que la longueur d’archet que j’utilise).
La tête de mon humérus, entre la clavicule et l’omoplate, doit être libre (mais toujours avec une mobilité petite, pour la même raison) et mon omoplate doit tenir cet ensemble pour que le contrôle du geste total soit juste. Puisque mes omoplates sont en situation de résistance, le bas de mon dos le sera aussi. Ce qui ne veut absolument pas dire qu’on est dans une situation de tension : Résistance et tension ne sont pas du tout cousines !
les micro-mouvements (que l’on pourrait dire synonyme d’un corps vivant.. ) sont bien présents partout et mon attention va aussi se fixer comme objectif de ne surtout pas les éliminer.
En fait, l’ensemble de mon buste a le même rôle que celui d’une personne qui assure un grimpeur en escalade : Fiable, solide, ouvert et tonique (donc non figé).
On peut aussi rapprocher cet équilibre général de celui d’un pont ou d’une construction en zone sismique : solide et sûr, mais pour cela, non figé…
Alors finalement, presque rien ne bouge ?? Et oui.. et pourtant rien n’est immobile non plus.
un corps, quoi ! jamais pétrifié.. Tout est dans la capacité de trouver le juste état des articulations et la sérénité qui s’en suit.
On peut trouver la sensation de cette résistance en faisant ceci : secouez votre bras dans tous les sens avec un poignet que vous ne tenez pas du tout : au niveau de la main, les mouvements sont très désordonnés, forcément. Maintenant secouez votre bras mais cherchez la petite résistance que doit avoir le poignet pour simplement rester dans le prolongement de l’avant-bras : c’est cette tenue-là du poignet que nous utiliserons pour jouer en étant confortable. De même , si vous secouez votre bras, vous pouvez constater que votre buste tient pour ne pas être lui aussi trop agité.
Et c’est aussi par ce contrôle de la tenségrité que je peux, paradoxalement, trouver ma souplesse, c’est à dire le mouvement juste et nécessaire.
méandresmusicaux