Article publié en février 2017 dans la revue « le violoncelle » N°62. Association Française du Violoncelle
Mon parcours jusqu’à l’impro
J’ai commencé mes études musicales à Poitiers à 9 ans. J’avais une bonne relation avec mon professeur et elle m’estimait suffisamment pour que j’aie le désir de progresser. J’étais clairement parmi les bons élèves et elle croyait en mes capacités …
A la fin de mon cursus à Poitiers, j’ai eu l’occasion d’enseigner un peu et j’ai alors pris conscience que cela me passionnait.
Dès ma première année au CRR Lyon, où j’étais venue pour finir mes études, j’ai pu donner quelques heures de cours de violoncelle et faire un remplacement comme assistante au CRR qui s’est transformé l’année suivante en poste à mi-temps.
Je l’ai complété par des heures de solfège et des heures de violoncelle dans la région jusqu’à ce que j’aie un poste à plein temps au CRR.
L’enseignement du solfège n’a pas duré longtemps mais j’ai beaucoup aimé essayer de faire comprendre aux élèves comment les règles de la musique émergent de l’expérience. C’était certainement un peu le début de ce courant pédagogique !! (vers les années 80)
Je cherchais une façon de procéder qui reste au plus près du vivant, du mouvement, du jeu, de l’envie d’inventer tout en étant soumis à des consignes, d’abord orales puis écrites. La consigne principale restant : le texte, même s’il est écrit, doit rester vivant, actif et dynamique et prendre sens dès que nous nous en emparons. Notre travail consiste à comprendre les signes les plus évidents qui sont sous nos yeux : ça monte, ça descend (les effets de notre voix vont donc varier) les rythmes sont réguliers ou irréguliers (la dynamique est donc en mouvement incessant et notre corps le vit dans ses élans) c’est à 3 temps, à 4 temps… (tous les temps n’ont donc pas la même importance et nous le ressentons). Certaines notes ou certains rythmes reviennent régulièrement et nous en tenons compte…. Mais cela ne doit pas empêcher, bien au contraire, d’y apposer également notre empreinte personnelle : notre interprétation…
J’ai commencé véritablement à me lancer dans des balbutiements d’improvisation avec un groupe de petits élèves violoncellistes CHAM de première et 2e année que je devais faire travailler en ensemble alors que j’enseignais depuis un ou deux ans. Je ne suis pas très portée vers la direction d’orchestre et j’ai donc tenté de leur faire acquérir des notions d’écoute, de présence, de capacités d’ initiatives à travers des consignes que j’inventais.
Je voulais qu’ils aient une meilleure compréhension du lien entre leur corps et leur instrument, entre eux et les autres. Il me semble que cela devrait toujours précéder un véritable travail d’orchestre : comment se situer dans le groupe, avoir la conscience de ce que nous entendons et comprenons chez les autres, comment faire des liens, des alliances avec untel ou untel selon ce qu’il fait, comment faire comprendre clairement ce que nous faisons ? Comment explorer son instrument en levant les notions d’interdit pour trouver comment interpréter toute sorte de décors, de personnages, de couleurs ? Un grand travail sur l’imaginaire, la sensation et les émotions .. Tout ceci sans grille, sans notion de tonalité mais par contre en tentant de comprendre quelle est l’idée qui éclot et que l’on va développer ensemble pour que cela fasse sens.
La rencontre avec Christophe Roy lors d’une préparation au DE m’a aussi beaucoup aidée : lui aussi avait ce genre de pratiques avec ses élèves ! Cela m’a permis d’oser continuer.
J’ai également travaillé la voix et l’expression avec le Roy Hart théâtre dans les années 1985. Une belle façon de prendre connaissance de sa voix sous tous ses aspects et d’oser expérimenter assez loin ses ressources…
Depuis cette époque-là j’ai toujours fait du travail de recherche en improvisation soit avec mon violoncelle, soit avec ma voix, soit avec les deux !
Dans mon propre travail de recherche j’ai pu constater que par le biais de l’improvisation je pouvais mieux comprendre mon fonctionnement. Mon fonctionnement relationnel et mon fonctionnement personnel. Je me suis d’abord intéressée pendant de long mois uniquement à des sons inhabituels (j’ai été fascinée par les harmoniques dans l’aigu de mon cello et par ce que pouvait faire l’archet avec ce mode de jeu pendant des heures -c’était un travail entre moi et moi, que je n’ai pas rendu public !!- ). Cela m’amenait une perception autre de mon instrument et également un contact avec mon imaginaire ou, disons plus exactement, avec mes références imaginaires : ces sons étirés, effilochés, venus d’un monde différent me permettaient de ressentir quelque chose qui me concernait, moi, personnellement. Je n’étais pas en train de comprendre le monde de l’autre à travers les sons de l’autre mais mon monde à travers mes sons.
En développant ce travail (au-delà des harmoniques de départ !!) j’ai vite constaté que ces investigations me permettaient de me sentir dans un bien meilleur équilibre personnel parce que je comprenais mieux ce qui me construisait ou ce qui me fondait (mon imaginaire, l’attirance de mon imaginaire vers certains sujets spécifiques me permet de comprendre mieux comment j’appréhende le monde, avec quels filtres je le perçois.) Or, qu’est-ce que la musique sinon une façon de mettre en sons et en formes nos états d’âme et nos liens avec les grandes questions qui se posent pour nous dans l’existence ?
Petit à petit ce travail s’est développé à plusieurs aussi, ce qui a permis de se poser la question de la relation et de la place dans un groupe de façon plus approfondie (musicalement parlant mais, bien sûr aussi, humainement parlant : comment pourrait-on dissocier les deux ?!)…). Puisque notre improvisation se fait sans grilles et sans consignes de formes, nous nous sommes trouvés rapidement devant le problème de la liberté !!! Un programme sans fin, comme on peut l’imaginer, mais combien enrichissant : se situer, savoir s’affirmer, dans n’importe quel rôle (lieder, accompagnant, basse …) tout en écoutant et respectant l’autre. Ne pas présumer de ce que va faire l’autre mais l’accueillir en en tirant le meilleur parti au profit de la création éphémère en cours… Ne pas imposer son point de vue et ne pas disparaitre pour autant mais trouver sa juste place sur cet échiquier musical… Comprendre que si on respecte ce qui est en train de se faire et, surtout, si on se respecte suffisamment pour ne pas changer trop vite de cap, les problèmes se résolvent et nous ouvrent des portes vers des solutions encore inconnues et qui sont parfois pourtant éblouissantes de clarté.
Comprendre qu’avec un fil commun mais en respectant nos particularités nous pouvons avancer dans le propos musical qui est en train de se créer… quelle belle leçon de vie !
Le fait d’être en train de créer en improvisation nous place de façon beaucoup plus nette devant toutes ces questions qu’un texte écrit à interpréter qui a finalement résolu les problèmes pour nous. Dans le cas de figure de l’improvisation nous sommes in vivo face à des situations à démêler d’urgence. Et il faudra trouver pour se faire, sa propre réalité, sa présence, sa concentration, son écoute, pour être capable de surfer sur le fil commun qui est en train de se développer…
Je ne sais souvent plus très bien si je suis en train de faire et de proposer un travail sur la musique ou sur la question de la relation humaine et de ses écueils mais peu importe !
Nos divers petits groupes de recherche sur le sujet fonctionnent pour certains depuis maintenant presque une vingtaine d’années et nous nous trouvons toujours devant des questionnements nouveaux et passionnants qui nous poussent à continuer ce travail.
Je constate qu’alors que je suis extrêmement sujette au trac (au point de ne pas pouvoir jouer en public si ma partie est trop en avant) je ne connais absolument pas ce problème en spectacle d’improvisation. Mon attitude est complètement différente dans le deuxième cas (que je sois d’ailleurs en groupe ou en soliste) : je n’ai tout simplement pas d’espace pour laisser ma pensée développer ce genre de désordre tant je suis occupée à ne pas lâcher mon état de centration intérieure.
Petit à petit cette attitude arrive à influencer le travail sur les textes écrits et les concerts classiques mais c’est un processus qui semble très long ! Je ne perds cependant pas espoir !
En parallèle avec ce travail de recherche j’ai petit à petit mis en place des ateliers sur ce sujet : il me semble tout à fait indispensable que les apprentis musiciens, quel que soit leur âge, intègrent à leur formation les éléments développés ci-dessus. Cela élargit magnifiquement le débat, cela rend à la fois plus humble et plus solide… et il me semble que la musique, le mystère de son indispensable nécessité, nous parle de tous ces éléments : le lien avec soi-même le lien avec l’autre, le sens, la cohérence de l’ensemble…
Depuis un certain nombre d’années, au CRR de Lyon, je fais travailler l’improvisation (pas de partition et pas de grille) à des petits groupes d’élèves instrumentistes à cordes que je vois régulièrement tous les 15 jours. Un groupe d’élèves d’une dizaine d’années et un autre d’adolescents. Ce temps, miraculeusement libre de contraintes extérieures, permet d’aborder ce qui ne peut souvent pas l’être pendant les cours faute de temps.
Ce travail de groupe est, si j’en juge les retours des parents et des enfants, pratiquement toujours grandement apprécié par les élèves. D’une part ils s’amusent et d’autre part ils découvrent un grand nombre de lois musicales qui apparaissent comme des évidences au cours des séances parce qu’on cherche à se comprendre et donc à mettre du sens dans ce que l’on joue. il ne s’agit évidemment pas de faire « n’importe quoi » mais de créer de la musique qui va être compréhensible parce que chacun de ses acteurs a conscience de ses axes principaux.
Dans cet espace où ils peuvent prendre des décisions, agir avec leur curiosité, leur personnalité, leurs idées à eux, les élèves découvrent aussi un peu mieux qui ils sont et ce que la musique leur permet d’exprimer. Ils respirent, se détendent,s’ouvrent, et trouvent souvent que l’heure passe trop vite !!
Les cours que je donne aux adultes (voir l’article de votre précédent numéro !! ) sont aussi beaucoup tournés vers cette compréhension de la musique avec cette dynamique-là et d’une connaissance de soi face à son corps d’instrumentiste.
Durant l’été mon compagnon, Jean Lucien Jacquemet et moi, organisons des stages qui s’adressent à des adultes, amateurs ou professionnels : Un groupe d’instrumentistes jumelé à un groupe de vocalistes. Il s’agit souvent là d’une réparation… Beaucoup de blessures datant de la période d’apprentissage sont déposées. Il faut retrouver l’envie, la capacité à s’exprimer, sans avoir peur, le goût du son, le goût de dévoiler quelque chose de soi… se retrouver en quelque sorte… et l’improvisation sous cette forme est un merveilleux outil pour le faire !
Depuis 2 ans, j’anime également pour les enseignants, qui sont très en demande de ce genre de propositions pour leurs élèves, une formation au sein du CNFPT qui donne des outils pédagogiques pour comprendre le principe de ce travail.