Imaginez que vous transportez une assiette pleine d’eau à ras bord. Constatez la concentration que cela vous demande pour ne pas faire les mouvements intempestifs qui agiteraient l’eau et la feraient déborder.
Cela demande une grande présence aussi bien psychique que physique.
Observez par exemple ce que cela provoque vers vos abdominaux : ils fonctionnent souvent dans ce genre d’exercices. C’est l’endroit de votre corps qui va peut-être aider à tenir l’ensemble. (Sans forcer, bien sûr, c’est juste qu’ils sont « éveillés ») Par contre votre psychisme doit être en même temps non crispé ET très présent. Vos bras aussi doivent être disponibles MAIS tenus et très contrôlés…
Avec notre instrument, le travail pour accompagner une note jusqu’à la suivante est très comparable à cette expérience. Il faut en effet écouter TOUS les éléments du son qui est en train d’exister (l’eau qui reste dans l’assiette), ne rien laisser sur le bord de la route (l’eau qui déborde) ET arriver à un endroit bien précis : la note suivante tout d’abord et, dans une autre échelle qu’il ne faut pas oublier, la fin de la phrase ou de l’élément de la phrase.
Il ne suffit pas de remplir l’assiette d’eau (faire une note juste) , il faut agir avec (la mener plus loin) et c’est bien sûr ce cheminement qui rend la chose passionnante en musique, avec toute la présence et le suspens que cela implique.
C’est un peu comme suivre un match de tennis : la balle va d’un joueur à l’autre jusqu’au bout du service. Les spectateurs suivent l’échange avec passion.
Une autre image pourrait être celle de l’action de sortir une ancre de l’eau à l’aide des deux mains qui se relaient sur la corde qui la tient : si mes gestes s’enchaînent mal, la corde ne va pas avoir une tension régulière et je perds une efficacité considérable.
Dans notre jeu nous avons besoin, à parts égales, de notre mental et de notre physique. La présence physique n’est pas du tout synonyme d’efforts musculaires en force ni de grands mouvements mais elle est néanmoins très profonde, et prend sa source dans le centre du corps, vers les abdominaux. C’est elle qui, pendant le déroulement de la phrase, emmènerait (à peine!) le corps dans son entièreté un peu vers l’avant ou un peu vers un côté. Elle est puissante et mesurée.
Ma pensée, elle, maîtrise ce qu’elle veut faire avec les notes de façon très dense, presque musculaire, justement. Elle « tend » vers un endroit précis.
Sans ce binôme, l’idée, le son, et le mouvement se dispersent et la crédibilité et la présence disparaissent.
Toute la difficulté, comme souvent avec un instrument, est de sentir ce jeu très subtil entre la détente et la puissance… Non ! Nous ne pouvons pas jouer « détendu » dans son sens le plus commun ! Nous avons besoin de tensions mais elles doivent être mesurées au plus juste.