Peux tu simplement faire sonner une corde à vide avec ton archet et écouter ce qui se passe une fois que ton archet a lâché la corde ? Le son résonne, un certain temps, bien sûr. Mais entends-tu comme il est vivant ? Comme il se déplace dans ton violoncelle et dans l’espace ? Il a une forme qui évolue, avec des sortes de spirales ! C’est quand même assez magique… Et ça dure… Le violoncelle a donc d’une certaine façon sa propre vie ! Et il faut être attentif à cela. Les cordes vibrent, le bois vibre. Ton instrument tout entier se met en mouvement ! C’est toi bien sûr avec ton archet, qui provoque plus ou moins de dynamisme ou de force, mais il n’empêche que ton violoncelle est partie prenante dans l’histoire… Le son n’a rien de mécanique, rien de constant, il n’est pas tout droit, il se promène et tu t’amuses avec. Tu DOIS t’amuser avec ! Tu te nourris de lui également… Et ce but sera le même que tu interprètes un texte ou que tu fasses une improvisation.
Et si nous faisions maintenant un sol sur la corde de Ré en écoutant si le même effet se reproduit ? Tu entends ? le son est un peu moins libre. Forcément ! la corde est plus courte… Et si tu poses délicatement un doigt sur la corde de SOL, à côté, pendant la résonance ? Et oui ! le son s’appauvrit au moment où tu touches la corde et l’empêche de ce fait de vibrer. La corde de Sol a reconnu le sol que tu faisais à l’octave et cela la réveille : elle veut elle aussi jouer ! Et d’ailleurs, la corde de Do aussi vibre quand tu fais ce Sol sur la corde de Ré !! En fait, ce qu’il faut comprendre c’est que tes quatre cordes n’ont qu’une envie, c’est de résonner avec la note que tu fais. Et, toi, ton travail est de chercher justement tous ces liens que tu peux déclencher entre tes cordes et ta note. La note que tu fais a tout un tas de « copines » tous le long de tes cordes et elles se réjouissent de participer au son que tu produis. Ce sont les harmoniques !
Observe, maintenant ! certaines notes que tu fais semblent avoir moins de « copines » harmoniques que d’autres.. Et oui, tu n’as que quatre cordes sur ton violoncelle ! Elles ne sont pas amies avec tout le monde aussi facilement. C’est normal, c’est comme dans la vie : il y a des personnes avec qui tu te sens tout de suite bien et d’autres avec qui c’est moins simple. Quand tu remarqueras que les résonances sont moins simples, il faudra que, toi, tu sois plus active, que tu ailles chercher dans un cercle un peu plus lointain ces amies prêtent à s’amuser. Tu dois élargir le plus possible ta recherche ! Tes oreilles vont donc devoir être extrêmement attentives de façon à ce que tu sois prête à compenser l’éventuelle moins grande facilité de ton violoncelle à vibrer. Ton violoncelle, lui, adore être chatouillé dans tous les sens et c’est à toi de l’aider ! Pétris, pétris!!
Et ta main gauche ? Peux tu refaire ce Sol sur la corde de Ré et, écoute! si tu relâches trop la pression de ton doigt sur la note que tu joues, le son du violoncelle s’éteint tout de suite. Tu as là aussi une grande responsabilité vis à vis de la résonance. Tu dois vouloir vouloir!
Les instruments à cordes ont cette immense qualité de continuer à faire vibrer le son après qu’on l’ait produit. Si tu jouais de la flûte, par exemple, ce ne serait pas le cas : une fois que tu cesserais de souffler dans ton instrument, le son s’arrêterait. Ton violoncelle, lui, joue avec toi et va plus loin que toi, plus loin même que ton intention !! Il peut t’étonner à chaque instant si tu es vraiment vigilante.
Faisons à présent plusieurs notes de suite : un bout de gamme par exemple. Si nous continuons sur notre idée, chaque note que tu as émise va devoir continuer à vibrer avec toutes ses copines sur la suivante et peut-être également sur celle d’après ! Tu crées un nuage de son qui ne doit jamais cesser, qui doit rester ample et conserver à chaque milliseconde le phénomène de formes mouvantes dont nous parlions tout à l’heure. Dès que tu n’y penses plus assez, le son crée des ruptures , la phrase perd son sens, et la musique sa magie… la phrase ne trouve plus son but.
Si ton archet s’arrête sur la corde: ton son s’arrête, si ton doigt de la main gauche qui joue se soulève trop tôt : ton son s’arrête, si ton archet change de corde sans penser à provoquer de la résonance, ton son s’arrête, si tu ne gardes pas la pression juste dans un déplacement : ton son s’arrête !! Quelle responsabilité !! Mais quel jeu passionnant aussi !
Le compositeur dont tu joues la musique a pensé et entendu tout ce qui peut se percevoir comme résonances dans son œuvre selon l’ordonnance des notes qu’il a mise en place. C’est très probablement ce qui l’a guidé. Il veut que, grâce aux harmoniques, on entende ici du noir, ici du rouge foncé qui va vite se transformer en orange… il veut du vaste, du tendu, du fragile… c’est tout le jeu des couleurs que tu peux mettre en évidence si tu comprends le lien des notes les unes avec les autres. Tu deviens la créatrice du chemin et de la compréhension.. Et tu comprends aussi, intuitivement, les règles de l’harmonie.
Et lorsque tu joues avec un ou plusieurs autres instruments, à nouveau, ce jeu, ces rencontres de copines harmoniques, donnent son sens à la musique. Elles t’éclairent sur la direction musicale à donner. Elles sont la clé de l’énigme que parfois tu ne peux pas trouver tant que tu joues seule encore, sans l’accompagnement ou sans les autres…
Quand tu joues, tu n’es jamais seule : tu es avec toutes les résonances musicales possibles et aussi avec une résonance particulière entre toi et tes coéquipiers car vous voulez, tous, d’un commun accord (et c’est le cas de le dire !) créer le son dans sa plus large richesse.
Mais, même si le violoncelle provoque naturellement toutes ces résonances, tu devras faire également attention à garder toujours tes oreilles en lien avec la variété de ce que crée ton archet dans ton phrasé. Le son que tu produis à travers ta phrase musicale ne doit pas être comme un trait droit tiré à la règle, il doit garder quelque chose de varié et de vivant. Un son rectiligne n’est pas très captivant à écouter. L’intérêt de tes auditeurs et ton propre intérêt vont rapidement disparaître si tu ne leur offres qu’une régularité. Ton archet doit être comme le pinceau d’un peintre qui agirait sur une toile géante. Ton bras est le bras de ce peintre et tu veux créer dans l’espace des pleins et des déliés, de l’épaisseur ou de la finesse, une sensation d’envol ou au contraire de densité. Tu as besoin pour cela de beaucoup de dynamisme dans ton bras. Tu dois faire vivre ton archet et donc ton bras, qui vont créer le son avec la corde et l’envoyer dans l’espace exactement de la même façon qu’un peintre avec son pinceau ferait vivre l’encre ou la peinture par grands traits sur la toile.