Dans un moment de travail en solo, je propose à des vocalistes d’improviser en chantant mais avec la consigne de marcher en même temps, sans s’arrêter. Le résultat est assez instructif : l’improvisation a bien du mal, tout à coup, à rester intérieure et la présence laisse à désirer. La direction est très imprécise et l’intérêt est très loin d’être aussi satisfaisant qu’à l’ordinaire…
On voit très nettement que toute la concentration est mise dans le fait de respecter la consigne de la marche. Le fait de devoir agir – d’avoir donc des gestes précis à effectuer pour se déplacer – détourne complètement de l’objectif premier qui devrait être de rester en lien avec l’émotion et le geste intérieur (différent donc du geste acquis par l’apprentissage : la marche) et de l’exprimer par le chant. Le raison d’être du chant devient secondaire.
En observant ceci, je me rends compte que cet exercice illustre parfaitement la problématique d’un instrumentiste en situation d’improvisation. Celui-ci, en effet, a bien du mal à exprimer son ressenti car ce ressenti doit passer par la médiation de son instrument et des gestes à effectuer pour produire les notes et les sons : Il FAUT fabriquer les notes puisqu’elles vont nous servir à nous exprimer. Et, de même que dans la marche obligatoire des vocalistes dans notre exercice, tous ces gestes précis nous éloignent de notre centre émotionnel et de nos sensations intimes. Nous pouvons toujours faire des notes, bien sûr (de même que nous pouvons toujours marcher si nous le voulons) mais réussir à les laisser en lien avec notre ressenti profond …? Quelle opération délicate ! Le but – une improvisation qui « dit » – est vite détourné au service des gestes à façonner. Et notre expression peut malheureusement, dans un premier temps, vite se satisfaire de la mécanique de la production du son qui ne nous apportera pas grand-chose au final et ne maintiendra notre attention et notre intérêt que peu de temps. Nous devrons fournir dans notre mental (dans son sens le plus noble) un gros effort et une grande énergie pour réussir à faire cohabiter parfaitement des gestes acquis et très précis tout en gardant libre une conscience et un mouvement du corps qui veut s’exprimer. Notre cerveau doit simultanément être en contact étroit avec les mouvements enfouis de nos émotions et continuer à diriger des gestes acquis pour jouer sur l’instrument.
Cohabitation, donc, du lâcher-prise le plus large possible et du contrôle le plus précis possible… du conscient et de l’inconscient…
Un beau challenge !! Possible ? Oui ! Possible… !