Lorsque je joue, je dois être capable d’entendre dans mon chant intérieur les notes qui suivent celles que je suis en train de jouer. Ce chant intérieur, qui n’est pas ma voix chantée mais bien le son de mon instrument, me permet de me préparer à la justesse, à l’articulation, à la couleur, au sentiment, aux mouvements à produire et à l’état dans lequel mon corps va se trouver. Sans cette anticipation, je ne peux évidemment pas espérer trouver de la précision et de l’intention dans mon jeu : d’une manière générale d’ailleurs et donc bien au delà de mon instrument, si je n’ai pas décidé où je veux aller, si je n’ai pas de projet, je vais sans doute ne pas bouger ou végéter ou bien partir du principe que ma bonne étoile va réagir -mais, on le sait, elle n’est quand même pas systématiquement au rendez-vous ! –
Mon écoute est donc constituée de deux pistes différentes : ce que j’entends en direct et ce que j’entends en anticipation.
Parfois, je ne suis pas satisfaite de ce que je produis avec mon instrument en direct. Ça y est, le doute s’installe… Et, malheureusement, la plupart du temps, cela me rend indisponible à la capacité de produire ce que je dois entendre en anticipation.
Je trébuche et, au lieu de retrouver mon équilibre au bout de deux ou trois notes, me voilà au tapis ! Je n’ai plus mes 2 pistes à disposition qui me maintenaient en équilibre et celle qui reste, orpheline, m’entraîne de plus en plus dans les affres de l’insécurité. Au secours je n’entends plus ce que je veux faire !
Le doute est tellement puissant qu’il est capable de prendre absolument toute la place et de m’empêcher de penser ma musique à l’avance.
Le travail va donc consister à savoir repousser le doute et pour cela il faudra rendre mon chant intérieur plus fort que son assassin.
Commençons facile, bien sûr : jouer la mélodie qu’on est en train de travailler très lentement en s’efforçant de toujours entendre la ou les notes qui vont suivre avant de les jouer. Les entendre impliquant la hauteur et la qualité. Penser bien à l’attitude du corps. Il doit être actif pour réussir cette sorte de prouesse qui consiste à entendre les deux pistes décalées.
Anecdote : une de mes élèves est en train de jouer son morceau, je la vois faire « non non » de la tête, navrée de jouer ce démanché bien faux. Et puis l’instant d’après, elle se redresse et tout à coup son corps entier reprend sa place dans l’équilibre et la confiance et la suite se passe bien ! Il était tellement visible que, grâce à son corps, elle avait vaincu le doute et retrouvé son chemin de la double écoute ! Bravo !