Improviser (c’est à dire jouer sans texte une musique qui commence en soi) fait prendre plus clairement conscience de la nécessité d’évolution d’un certain nombre de qualités de jeu et de qualités personnelles : présence, couleur des sons, qualité d’écoute de soi, écoute intérieure, ressenti, conscience des sensations physiques, qualité du geste, imaginaire, investissement, maîtrise de l’énergie, compréhension de l’espace, présence scénique, esprit critique, mémoire, connaissance de son instrument, justesse, diversité…
En jouant seul, nous nous comporterons en chercheur, en explorateur. Il faudra aller à la découverte du son – des sons- de notre instrument dans ses états les plus secrets et les plus profonds. Il faudra entrer en relation avec nos réactions face à ces sons et ces ambiances que nous créons. Avec nos émotions aussi. Nous apprendrons à maîtriser ces réactions et ces émotions, non pas dans le but de les asphyxier mais, au contraire, pour leur donner de l’ampleur et de la force sans être pour autant submergé. Nous serons au service de ce qui est en train de se produire et nous ne devrons rien empêcher, ni à cause de l’inattention, ni à cause de la peur d’aller vers l’inconnu, ni à cause de nos schémas préétablis.
C’est difficile ! Surtout quand, en tant que musicien interprète de textes écrits, nous avons l’habitude d’être sur un sentier bien balisé dans lequel notre initiative de choix du contenu est nulle puisque le texte n’est pas le nôtre…
En improvisation, l’un des buts est de laisser surgir le désir qui vibre au fond de soi : quelle est MA musique à l’instant présent et dans le contexte présent ?
A plusieurs, l’enjeu sera encore plus vaste: le choix de notre rôle dans le groupe va être déterminant et nous poser bien des problèmes !!! Quelle va être notre place ? Quand et pourquoi allons-nous prendre une position de soliste, d’accompagnant, de continuo ? De meneur ou de suiveur ? Quand va-t-il falloir que nous changions de rôle ? Est-ce que nous écoutons suffisamment chacun des exécutants ? Est-ce que nous sommes assez souples, lorsque nous lançons une idée, pour pouvoir accueillir toutes les réponses de nos acolytes, même celles que nous n’aurions pas imaginées, et rebondir nous-mêmes dessus ?
Sommes-nous également capables d’estimer ce qui fait défaut dans l’instant : est-ce que la musique tourne sur elle-même ? Est-ce qu’il y a trop de texte ? A-t-on été au bout de l’idée et sait-on la quitter au bon moment ? Faut-il créer plus de fougue, un moment calme, plus de rythme, plus d’intériorité … ? Faut-il être en opposition, en miroir, en réponse ? En harmonie, en dissonance … ? Est-ce que l’ensemble a un sens dans le temps aussi bien que dans l’instant ?
Tout cela sans quitter notre état de centration, indispensable pour « qu’il se passe vraiment quelque chose », sans se perdre dans l’écoute de l’autre, ou dans l’attention à l’autre, au détriment de notre propre sensation et de notre présence à nous-mêmes… L’alchimie est extrêmement délicate : il y a la musique en création, les autres, soi, et l’ensemble doit trouver un équilibre parfait pour que le vivant circule sans discontinuer et que le sens et la présence soient perceptibles même si le contenu ne fait pas partie des références habituelles.
Beaucoup d’adultes sont attirés par l’apprentissage d’un instrument à cordes mais estiment qu’ils n’en seront pas capables : trop vieux, trop difficile… Pourtant cette approche par l’improvisation -que l’on joue des notes extrêmement simples et épurées ou que l’on soit dans un jeu demandant plus de technique et de connaissance- permet d’être immédiatement en contact avec la richesse de l’instrument et de la musique dans sa compréhension la plus fine. La recherche du contenu du son, de ce qu’il doit porter et transmettre par notre intermédiaire, oblige à être ici, tout entier, quoi que l’on fasse. C’est cette recherche de l’authentique qui va être perçue rapidement comme indispensable pour apporter de la satisfaction. L’improvisation ne demande donc pas nécessairement de la dextérité mais par contre elle oblige à la présence et… que serait donc la musique sans la présence ?
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